L’année qui vient de passer n’a vu naître que peu de films et les scénaristes sont restés en dernière ligne de la production audiovisuelle. C’est à l’occasion de cette crise qu’ils ont voulu mettre en lumière une situation à propos de laquelle ils tentent d’alerter depuis longtemps et qui les plonge aujourd’hui encore dans une grande précarité financière et morale. À la télévision mais plus encore au cinéma, ils déplorent le traitement réservé à leur travail et le manque de reconnaissance, se sentant souvent invisibles parmi « les professionnels de la profession ».
Le scénario occupe une place essentielle dans l’élaboration d’un film et il est un élément déterminant dans le processus artistique et économique, produisant des milliers d’emplois. Pour autant, l’auteur de ce travail, le scénariste, ne bénéficie pas de la même reconnaissance. Une ironie pourtant dramatique qui pousse de nombreux auteurs à en être découragés.
Témoignages
Depuis décembre 2020 sur un groupe Facebook appelé « Paroles de scénaristes » apparaissent les prémisses de ce mouvement de colère. On y retrouve de nombreux témoignages racontant les pires expériences d’auteurs. De plus en plus nombreux, ces récits permettent de se rendre compte de l’immense déception de certains scénaristes professionnels confrontés à la susceptibilité d’un réalisateur ou aux abus de pouvoir d’un producteur. Allant du récit d’heures de travail non payées à l’appropriation partielle ou totale de ce travail par un co-scénariste paresseux ou un réalisateur narcissique, on constate un rapport de force très mal distribué entre les créateurs de ces projets pour faire face aux obstacles et conflits auxquels les scénaristes sont souvent confrontés.
L’exemple qui a su trouver un écho récemment est celui des scénaristes de la série En Thérapie d’Olivier Nakache et Eric Toledano diffusée sur Arte et qui connaît un très grand succès avec une audience de 2,188 millions de téléspectateurs pour les 5 premiers épisodes. Les auteurs refusent de participer à la saison 2 se plaignant d’être maltraités par les producteurs. Ils s’expliquent dans un post sur Facebook à travers lequel ils mettent en lumière l’appropriation quasi-systématique des idées des scénaristes par les réalisateurs et les producteurs.
Dans une interview au Point, l’un des scénaristes Vincent Poymiro décrit « une expérience frustrante avec la production ». « Après vingt-cinq ans de métier, croire encore en la parole d’un producteur, il faut être idiot ! » Ils regrettent des fausses promesses de ces derniers et des abus de pouvoir. Vincent Poymiro dénonce notamment un partage trop inégal du pouvoir dans la production audiovisuelle et une reconnaissance injuste étant donné leur rôle déterminant dans l’élaboration de ce projet de série. Enfin leur déception vient aussi du fait qu’ils ne soient en aucune manière associés à la communication autour de la série.
« Finalement, sans avoir obtenu la rémunération et le crédit correspondants, nous avons fait le boulot… Mais on a été un peu dépossédés. » Mais les scénaristes de cette série s’attaquent moins aux réalisateurs du projet qu’ils pensent eux aussi otages d’un système qu’aux producteurs. Au-delà d’une question de reconnaissance, les enjeux sont multiples, à la fois culturels et sociaux mais surtout économiques. Un scénariste débutant par exemple met parfois dix ans avant de pouvoir vivre décemment de ce métier.
Les créateurs du groupe Facebook « Paroles de scénaristes » publient dans Télérama une lettre ouverte à l’attention de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot. Ils demandent à « sortir de ce statut d’esclaves modernes, sans chômage ni congés payés, payant des charges mais sans droit à une protection sociale digne de ce nom » et dénoncent un « système qui (les) écrase tous les jours plus durement et plus injustement ». Or cet appel est « pour l’instant malheureusement accueilli par un silence assourdissant de la part de l’ensemble du secteur. »
« Nous ne sommes pas des sages-femmes. »
Dans cette tribune, les auteurs appellent à revoir leur rôle dans le processus de création..Victimes depuis la nouvelle vague d’un rôle minimisé, perçus comme ceux qui aident le réalisateur à « accoucher » de son œuvre, les scénaristes revendiquent une autre place. C’est alors nécessaire d’amener un changement de la conception française du cinéma et des habitudes de production qui dominent depuis les années 60. Pour retrouver cette place digne, ils devront donc interroger le rapport entre scénariste et réalisateur.
Ils soulignent par ailleurs la particularité française de ce traitement car dans les autres pays comme les pays anglo-saxons, « les accords collectifs qui encadrent l’écriture font six cents pages et sont renégociés tous les trois ans ». Le métier de scénariste en France est donc l’un des rares qui ne bénéficie d’aucune protection sociale digne de ce nom, sans chômage ni congés payés mais payant des charges. « Il est urgent d’encadrer l’écriture avec des rémunérations minimales. » demandent les auteurs de cette lettre.
« Nous appelons Roselyne Bachelot, notre ministre de la Culture, à mettre en place les États généraux du scénario. »
Pour tourner la page d’un système mal structuré, ils espèrent que cette tribune soit un élément déclencheur pour engager un dialogue avec la ministre de la Culture, qu’elle puisse prendre note de leurs intentions et en tirer des résolutions concrètes. D’autre part, ils appellent également « les actrices et acteurs, réalisateurs et réalisatrices, productrices et producteurs, et l’ensemble du secteur culturel à élever publiquement leurs voix pour les joindre (aux leurs), car c’est la qualité des scénarios et donc des films et des séries qui est mise à mal quand les scénaristes sont maltraités. »
Mais pour l’instant aucune réponse de Roselyne Bachelot.
Pour autant, il existe des organismes comme la SACD qui mettent beaucoup en œuvre pour défendre les droits des auteurs. Mais pas seulement, La Guilde des scénaristes a par exemple décidé de lancer une Hotline d’assistance et de conseil pour tous les scénaristes. C’est un service gratuit pour la première consultation. Il est proposé à toutes les personnes qui en font la demande via le site web du syndicat. « À l’issue de la première consultation téléphonique, l’appelant.e verra ensuite s’il/elle a besoin d’une action plus suivie de la part de la Guilde, qui pourra donner lieu à des transmissions de documents (mails, contrats, etc.) et à un premier zoom d’une heure, pour lequel une participation aux frais sera demandée. »
Auteur(s)

Roméo Marchetti
Journaliste #Droitcitoyen